Santé Mentale des managers : Un levier direct de résultats
- Isabelle DELPLACE
- il y a 6 jours
- 11 min de lecture

Comme l’a dit Oprah Winfrey :
« Le repos et le soin de soi sont si importants. Lorsque vous prenez le temps de vous ressourcer, cela vous permet de servir les autres à partir du trop-plein. »
La Santé Mentale des managers ne relève pas du confort individuel.
Professionnellement c’est un levier de performance, de continuité d’activité et de rétention des talents. Un manager en surcharge chronique arbitre moins bien, communique moins clairement et se replie.
Les équipes le sentent et l’engagement chute. À l’échelle d’une entreprise, cela pèse sur la productivité, l’innovation et la qualité de service. L’OMS rappelle que l’anxiété et la dépression font perdre chaque année des milliards de journées de travail dans le monde, pour un coût estimé à 1 billion US$ en productivité perdue.
Ce n’est pas une vue de l’esprit : la prévention au travail est un sujet de santé publique et d’organisation du travail. En France, la santé mentale a d’ailleurs été érigée en Grande cause nationale 2025.
Dans ce contexte, placer la Santé Mentale des managers au rang de priorité stratégique n’est pas une option : c’est une décision de pilotage responsable et mesurable.
De plus, on constate, que ce mécanisme permet de gagner en sens et répond aux nouvelles attentes des bons collaborateurs. Ceux qui cherchent plus d’impact, car la délégation les engage.
C'est pourquoi j'explore ici avec vous, quel est le paradoxe du manager, quels sont les différents signaux faibles du stress chronique des Managers, les activateurs environnementaux de stress actuels pour les Managers, pour ensuite évoquer des pistes de prévention à 3 niveaux et finir par une synthèse opérationnelle en vous citant quelques exemples.
1. Le paradoxe du manager
Le manager est censé protéger les équipes… tout en absorbant pressions, objectifs, délais, crises et réorganisations.
Il doit décider vite, mais aussi écouter. Il doit être disponible, mais aussi produire. Ce grand écart épuise.
On dénombre 3 types de tensions structurelles :
Exigence élevée vs. marges de manœuvre limitées.
La demande augmente (qualité, conformité, reportings, respect des différentes règlementations), alors que l’autonomie réelle reste stable ou recule. Eurofound montre que l’intensité du travail et la complexité des tâches progressent dans toute l’Europe.
Présence pour l’équipe vs. charge de tâches non managériales.
Le temps noyé dans les réunions, les reportings et renseignement des outils réduit la disponibilité d’accompagnement individuel et collectif des équipes. Face à des équipes qui s’inscrivent dans un apprentissage continue, suite aux différentes évolutions du système dans lequel évolue l’entreprise elle-même, il est important de conserver un minimum de proximité avec les collaborateurs.
D’autre part, sachant qu’il est estimé que plus de 50% des managers ont été promu en interne, il est hautement probable qu’une large part de ces promotions signifie manager d’anciens pairs. Sachant qu’une importante proportion d’entre eux conserve en même temps des dossiers « prémium » à traiter en direct. La complexité à gérer 2 métiers n'est plus à démontrer d'autant lorsque l'on en apprend un !
Posture solide vs. vulnérabilité réelle.
Beaucoup de managers taisent leur mal-être par crainte d’être jugés. Des enquêtes citées par Le Monde.fr soulignent une détresse de près de 52% des managers et une tendance au silence. De plus, les managers tombent encore trop souvent dans l’angle mort des programmes de prévention en matière de santé mentale des entreprises. chez les managers, 32 % des arrêts de travail longs sont attribués aux troubles psychologiques, selon le groupe de protection sociale Malakoff Humanis. Ce chiffre témoigne d’une urgence sociale en matière de reconnaissance de la souffrance managériale et de mise en place de solutions préventives.
Alors quels sont les effets observables lorsque le dirigeant, le directeur, le manager se laisse dépassé par un stress continue dans la durée :
Il prend des décisions à plus court termes
Il fait des arbitrages plus hâtifs sur les priorités, sans forcément interroger tous les impacts qui en découlent.
Il communique dans un style directif, plus brusque, par l’impression d’un manque de temps et puis il évite d’expliquer, justifier, donner du sens à ses décisions.
Il tombe souvent dans la volonté de tout contrôler, et bascule dans le micro-contrôle… puis il décroche.
Pourquoi la santé mentale des manager devient-elle stratégique pour l’entreprise ?
Parce qu’il diffuse, dans un sens comme dans l’autre.
En effet, un manager en stress chronique dégrade la qualité de la relation de travail, alimente les erreurs, allonge les délais et augmente l’absentéisme, alors qu’un managers est attendu sur la qualité de sa communication sur le pilotage d’objectifs clair, sur la qualité de sa présence auprès de ses collaborateurs, sur sa capacité à enrayer les erreurs, sur sa capacité à faire tenir les délais de ses équipiers, sur sa capacité à engager ses collaborateurs pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Sachant qu’en France, 4 salariés sur 10 ont eu un arrêt en 2024, avec une exposition marquée des managers ; la part des arrêts liés aux troubles psychiques progresse. Ces signaux ne sont pas anecdotiques : ils touchent l’organisation sur toute la chaîne de valeur.
Prenons soin de nous, restons vigilants aux autres comme le suggère très justement Oprah Winfrey
2. Signaux faibles du stress chronique des Managers
Les signaux faibles se repèrent tôt. Ils sont discrets, mais répétitifs. L’enjeu est d’observer des tendances plutôt que des incidents isolés.
Voici un échantillon des différents signaux à suivre :
Les Signaux individuels :
Sommeil : réveils nocturnes, micro-siestes non planifiées.
Cognitif : oublis, ressassement, hésitations inhabituelles.
Émotionnel : irritabilité, retrait relationnel.
Somatique : migraines, tensions cervicales, troubles digestifs.
Comportement : mails envoyés très tôt/tard, accumulation de brouillons non envoyés, annulations d’accompagnements planifiés avec les équipes, les collaborateur.
Les Signaux au niveau de l’équipe :
Une baisse des rencontres entretiens avec le Managers (baisse des Feedbacks quels qu’ils soient).
Une augmentation des décisions « par défaut » et dans l’urgence.
Réunions qui débordent, absence de décisions claires.
Conflits latents non traités.
Voici quelques Indicateurs simples à suivre:
La part des différents messages (toute messagerie confondues comme e-mail, tchat, SMS qui sont envoyés dans le créneaux 20h–8h ou bien durant le week-end (une vigilance est alors à avoir par rapport au droit à la déconnexion de l’ensemble des salariés).
Les Horaires de réunion notamment sur le temps méridien.
Des entretiens individuels réalisés vs ceux qui étaient prévus (en %) ou, évaluer leur niveau de glissement avec un seuil qui devient supérieur à 25 % = risque.
Suivi du délai médian de prise de décision sur sujets clés (à mesurer en nombre de jours).
Évaluer les évolutions de Turnover et du nombre d’arrêts dans l’équipe, pour identifier la tendance générale.
L’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) encourage le repérage précoce des signaux faibles et l’ouverture d’espaces de régulation (revues de charge, ajustements rapides, soutien par les pairs). L’objectif n’est pas d’étiqueter une personne, mais de corriger le travail : cadence, priorités, ressources.
3. Facteurs aggravants actuels
Fin mars, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) tirait la sonnette d’alarme. En comparaison avec certains de nos voisins européens, les pratiques managériales en France sont à la traîne : trop strictes, trop hiérarchiques et surtout, trop éloignées des attentes des collaborateurs
L’étude a été menée dans quatre secteurs clés (automobile, digital, assurance et hôtellerie-restauration), elle compare les pratiques managériales françaises à celles observées en Allemagne, Suède, Italie et Irlande et s'intéresse notamment aux relations entre managers et collaborateurs, à l'organisation du travail, à la reconnaissance ou encore à la formation des managers.
Premier constat : les critères d’un "bon" management sont largement convergents d’un pays à l’autre. Il s'agit notamment de favoriser l'engagement des salariés, d'assurer une reconnaissance effective du travail, d'encourager l’autonomie et de décentraliser la prise de décision.
à l'heure ou les adaptations se multiplient et nécessitent de la réactivité, le style managérial y est jugé particulièrement vertical et hiérarchique, avec une faible coopération et un niveau d’autonomie plus bas que chez nos voisins européens.
Le sentiment de reconnaissance au travail est également bien moins marqué, tant en termes de feedback, de valorisation que de droit à l’erreur.
Quant à la formation des managers, elle reste "très académique", centrée sur la théorie, avec peu d’attention portée à la compréhension des dynamiques humaines et organisationnelles.
Ainsi qu'une absence d'une culture du dialogue social dans les entreprises françaises, qui limite l’impact des salariés sur l'organisation du travail.
Voici 3 autres facteurs aggravants à mesurer et à prendre en compte dès que possible :
1. Hybridation du travail et hyper connexion.
Le télétravail s’est installé : 26 % des salariés en 2023. Comme tout changement, il apporte à la fois des gains, mais aussi comporte des risques : le flou des frontières, l’isolement, la surcharge cognitive liée aux outils.
Et en plus, les managers doivent gérer la coordination à distance qui ajoute de la complexité dans l’aménagement des différents temps des équipes (synchronisation, justice perçue, suivi, …).
2. Intensification et complexité des tâches.
Les exigences réglementaires évoluent parfois très vite et impactent souvent les écosystèmes des entreprises et par conséquent celles des équipes.
De fait, les exigences des marchés et des clients augmentent proportionnellement. Les systèmes sont plus interconnectés. La qualité du travail dépend d’arbitrages rapides souvent dans un contexte rempli d’incertitudes. Les différents diagnostics européens sur la qualité de l’emploi le confirment.
3. Le Tabou managérial.
Beaucoup de managers taisent leurs difficultés, par peur d’être perçus comme faibles. Ce non-dit retarde les ajustements et favorise l’épuisement. Le droit à l’erreur managérial et apprendre à demander de l’aide sont les éléments d’une culture à faire évoluer notamment dans notre pays.
4. Bonnes pratiques de prévention
La prévention efficace se joue à trois niveaux : organisation, compétences, soutien.
A. Prévention primaire : Organisation et agir sur le travail
Clarifier la charge et les priorités : limiter les objectifs actifs (3–5 max), les formaliser en respectant la règle d’un objectif SMART (Spécifique, Mesurable, Ambitieux, Réaliste, dans une Temporalité définie) et ne pas hésiter à (co)arbitrer la rétrogradation d’une priorité antérieure au profit d’une priorité à venir.
(Re)questionner le format des réunions : Objectif recherché, durée optimale, Compte rendu de décisions tracées, un quorum efficace et utile, distanciel ou présentiel, ...
Réguler la disponibilité numérique : droit à la déconnexion, plages sans réunion.
Évaluer, Ajuster les rôles et l’effectif : ratio encadrants/ETP, backups planifiés afin de permettre à chaque manager d’endosser confortablement les 4 rôles qui lui incombent (Expert métier, pilotage de l’activité, accompagnement des équipes et vision et leadership).
Suivi du Cadre Risques Psychosociaux dans le DUERP ; faciliter la revue trimestrielle avec CSE et faire un retour global et individuel aux équipes managériales
Ajuster les modalités de fonctionnement et de communication des équipes quel canal ? pour quel message ? qui ? quand ? comment ?.
B. Prévention secondaire : Développer les compétences
Former les managers au repérage des signaux faibles, aux modalités de priorisation, d’arbitrage, et de délégations, sur la conduite de feedback positif ou d’amélioration, à la gestion des conflits, à l’hygiène numérique, qu’est-ce que la santé mentale ?, et proposer une formation de secouriste santé mentale, …
Proposer des dispositifs pairs-à-pairs (codéveloppement, supervision, tutorat, …).
Check-ins réguliers (10 min) sur charge et obstacles (pour les managers et leurs collaborateurs).
C. Prévention tertiaire : Soutien et Soins
Rappeler aux Managers, pour qu’ils le rappellent à leur tour à leurs collaborateurs, les Accès rapide à un Soutien psychologique, à un Employee Assistance Program (EAP) qui est un service mis en place par l'employeur pour aider les employés à faire face à divers problèmes pouvant affecter leur performance au travail, qui garantissent la confidentialité des échanges).
Soutenir, accompagner les Manager lors d’un retour au travail après arrêt et à la coconstruction du parcours de réintégration : progressivité, charge maîtrisée, objectifs adaptés.
Informer les Manager de la Possibilité de faire appel au service Ressources Humaines ou à la Direction pour envisager des solutions de soutien pour les situations sensibles (coaching ou de médiation).
Proposer à chaque Manager de devenir sur la base du volontariat secouriste santé mentale en suivant une formation PSSM (premiers secours santé mentale)
5. Quelques cas concrets
Dans le rapport Récit d’action & enseignement publié notamment par l’ANTC, il est fait référence à 3 cas concrets qui me semblent parlant et que je souhaite vous partager ici :
Cas A — Reconfigurer le management dans une PME tech (Dejamobile 40 salariés)
Suite à un accompagnement par l’Aract Normandie pour formaliser le télétravail, expérimenter, puis stabiliser des règles (charte, espaces de discussion, réaménagement des temps/espaces).
Pour les managers, « cette expérimentation aura mis en lumière l’importance primordiale de la confiance », pour certains responsables, cela a parfois bousculé leurs repères. Toujours dans une logique de coconstruction, l’entreprise envisage d’interroger à nouveau les collaborateurs sur le bureau de demain.
Pour les managers, cela part également du besoin de bénéficier d’espaces dédiés favorisant des échanges plus qualitatifs pour des temps de régulation.
Enseignement clé qui en est ressorti est:
le management gagne en lisibilité quand on traite le travail réel (flux, priorités, coordination), pas uniquement les outils
Cas B — Ministère : groupes de codéveloppement entre pairs (managers)
L’Action managériale mise en place a été de développer la pratique d’ateliers de codéveloppement (4 à 8 managers, métier différent, même niveau hiérarchique), animés par un facilitateur interne formé à la méthode Champagne - Payette afin de permettre un co-apprentissage expérientiel entre pairs.
Mise en œuvre : séminaire de lancement (2 jours) + kiosques thématiques ; règles simples (bienveillance, sécurité psychologique) ; cas amenés par les participants.
Enseignement clé est :
La réduction de l’isolement managérial, entraide sur décisions et arbitrages ; condition de réussite soulignée : ancrer les enseignements dans les décisions de la direction (sinon essoufflement).
Cas C — “Redonner un cap” au management dans le transport/logistique (Transports Bréger)
Une attention spécifique a été portée vers les managers, fortement bousculés par la crise et l’organisation du télétravail. En effet, Avec ses 11 agences et 30 entrepôts de stockage de marchandises, l’entreprise Bréger réunit une diversité de profils : transporteurs, logisticiens, fonctions supports et administratives, et management.
Habituellement, c’est le cœur de métier qui tire les réflexions sur l’organisation et les conditions de travail. Mais la crise a fait évoluer celles-ci : d’une part, parce que les fonctions support ont dû travailler à distance, d’autre part, parce que les manageurs et directeurs d’Agence ont dû investir fortement le terrain en raison des manques d’effectifs sur site.
Dans un secteur où le turn-over est monnaie courante, le management de proximité joue un rôle primordial dans l’animation des dynamiques collectives : organiser, communiquer, expliquer, favoriser le partage de savoir-faire pérennes, opérationnels ou de prudence.
La situation de crise a exigé des managers de priorisé leur actions opérationnelles.
La période de post-crise les oblige à redonner du sens et un cap au management et ce pour préserver le collectif de travail.
Enseignement clé :
Formaliser les pratiques induites par le télétravail et le périmètre des activités télétravaillables permet aux managers de l’entreprise d’acter un nouveau fonctionnement organisationnel. L’entreprise Bréger a fait le choix de passer par un accord télétravail, même s’il concerne qu’une faible part des effectifs.
Ces actions ont permis d’envoyer un message de reconnaissance aux différentes fonctions supports, cela a été un révélateur de leur dialogue social et de permettre aux Managers de reprendre une position aussi bien stratégique qu’opérationnelle.
En résumé, la recette unique de préservation de la santé mentale des managers n’existe pas. Chaque modèle organisationnel comporte des risques et des opportunités qu’il s’agit de prendre en compte, compenser, équilibrer…
Chaque organisation est singulière et doit trouver les régulations nécessaires à l’efficacité productive comme à la santé au travail.
Un indispensable soutien au management pour lui permettre d’exercer sa pratique et lui donner des leviers pour résoudre cette nouvelle équation et une période « test », sont semble-t-il les 2 points communs à ces cas concrets
Conclusion
Préserver la Santé Mentale des managers n’est pas un « plus » :C’est une façon de piloter le travail.
Là où l’on clarifie la charge, le cap à tenir, le sens et où l’on ouvre des espaces de régulation, les décisions gagnent en qualité, les équipes respirent et la production devient plus stable.
Les chiffres internationaux et français convergent : le stress pèse sur la performance, les arrêts et la motivation et inversement, la prévention structurée produit des gains rapides et visibles. La question n’est pas « faut-il s’en occuper ? », mais « où commence-t-on ? ».
Quelques idées pour vous :
Fixer un plafond d’objectifs actifs par manager.
Poser des règles simples de réunion et de déconnexion.
Démarrer une supervision de pairs.
Mettre à jour le DUERP et plan d’actions RPS, avec indicateurs mensuels.
Commencer petit, mesurer, ajuster. Ce sont des gestes de gestion. Ils protègent les managers et renforcent la performance…
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