Chronique de Isabelle DELPLACE Consultante ID Management / 06.68.19.27.87 / idmanagement@outlook.fr le 26/08/2020
Comme l’a dit Edgar Morin : « La connaissance est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes. »
Dans le contexte actuel, quelle que soit notre activité professionnelle, cette phrase raisonne de plus en plus fort.
Dans le monde de l’Entreprise, nous devons tous faire face à l’incertitude, n’ayant pas la maîtrise à 100 % des choses que nous vivons. Cette notion d’incertitude implique l’idée d’inconnu, de possibilité de changement, de prise de risque alors que notre besoin de sécurité s’exprime de plus en plus fort, à plusieurs niveaux, et aussi bien personnellement que professionnellement.
C’est pourquoi, j’ai choisi cette fois de vous donner 4 clés qui semblent utiles à tout dirigeant ou manager pour mieux gérer les différentes incertitudes qu’ils sont amenés à ressentir à leur niveau mais aussi celles qui lui sont exprimées par leurs collaborateurs.
L’idée ici, étant de voir comment faire pour exploiter cette incertitude de manière à ce qu’elle soit vue, vécue comme un moteur et non plus comme juste une situation d’inconfort.
1. L’incertitude c’est quoi ?
Ce qu’il est important de garder à l’esprit est que l’incertitude n’est pas un phénomène nouveau, en effet nombreux sont les dirigeants de l’Histoire qui recouraient à des devins, des oracles et autres afin de les aider à prendre des décisions lorsqu’ils se trouvaient dans un océan de doutes.
C’est donc finalement, une situation tout à fait banale et courante dans la vie. Nous ne devons donc pas perdre de vue que nous avons tous besoin de l’accepter en lui laissant une place.
Il faut d’abord comprendre et accepter que le stress suscité par cette idée d’imprévisible nous amène à développer notre créativité. Ainsi les choses deviennent difficiles parce que l’incertitude nous met dans une situation inconfortable, mais elle entraine en nous un signal émotionnel ou physique qui nous amène souvent à trouver une solution. Elle devient alors un outil de décision pour mener des actions profondes et positives.
Cependant aujourd’hui, les individus ainsi que la société à laquelle nous appartenons préfèrent souvent fuir ces situations d’inconfort, pour essayer de vivre davantage ou plus longtemps sans frustration.
Il nous arrive à tous, face à un changement, malgré une situation qui ne nous convient pas et qui nous rend malheureux, de rester inactifs et passifs. Prendre la décision de changer implique souvent d’être au pied du mur et de ne plus avoir le choix de donner à notre univers quotidien un déséquilibre, une variante qui peut entraîner des émotions perturbantes.
C’est à ce moment-là qu’on entend des expressions telles que « On sait ce qu’on perd on ne sait pas ce qu’on va gagner » ou encore « un tien vaut mieux que deux tu l’auras ». Elles évoquent la peur du changement et le manque de vision, et entraînent inévitablement l’immobilisme, l’inaction et ce sentiment pesant de devoir subir les évènements à venir.
C’est alors un florilège de sentiments (la peur, l’anxiété, la colère, le tristesse …) qui se succèdent en nous et réveille ce besoin de chercher à se rassurer ou rassurer les autres en créant une illusion de sécurité.
Dans l’ensemble de ces sentiments, il y a aussi, et il ne faut pas en sous-estimer les effets, la peur du regard des autres : « Que vont-ils dire, que vont-ils penser si je me trompe ? » la peur du jugement de ses proches, de ses collaborateurs, de ses pairs...
On reconnaît tous les éléments exprimés par la peur de l’échec.
C’est pourquoi il reviendra au leader de porter la décision qu’il aura dument choisie, d’expliquer la vision du futur qui l’a poussé à la choisir et d’en assumer les conséquences.
Mais tout cela est bien plus facile à dire qu’à faire…
2. Commencer par prendre conscience, connaissance de ses incertitudes pour mieux écouter et prendre en compte celles des autres
Vous l’aurez compris, l’incertitude est un vecteur de contagion émotionnelle fort.
Mais qu’est-ce que cela veut dire ? L’incertitude permet le transfert rapide d’émotions d’un individu à l’autre et ce de manière consciente ou non.
La première étape conseillée est donc de procéder à une introspection.
Un questionnement personnel sur notre état émotionnel et sur l’effet qu’il peut avoir sur les autres puis un questionnement sur l’état émotionnel de l’autre et de l’effet qu’il a sur vous.
Ici les pratiques de méditation en pleine conscience ou Mindfulness me paraissent les plus adaptées.
La pleine conscience nécessite une qualité d’attention portée à l’expérience en cours, sans filtre, sans jugement, sans attente et s’applique parfaitement à la pratique de la méditation. Les perceptions, les émotions, les phénomènes cognitifs doivent être observés avec soin à défaut d’être évalués.
Pour y parvenir, il importe de se déshabituer de notre manie à toujours juger, contrôler ou orienter nos expériences de l’instant présent. En d’autres termes, la pleine conscience serait « l’observation sans jugement du flot continu des stimuli internes et externes tels qu’ils surgissent ».
C’est le médecin et chercheur américain Jon Kabat-Zinn qui a l’idée, en 1979, d’introduire la méthode méditative dite de Mindfulness ou « pleine conscience » pour soigner le stress et diminuer l’intensité de la douleur.
2 mécanismes de la pleine conscience expliquent les nombreuses applications possibles :
- Une conscience préréflexive de l’émotion, sorte de voie d’accès privilégiée à
l’expérience d’être, en relation avec le monde et avec les autres.
- Une ouverture et une acceptation de l’expérience telle qu’elle est. Cela favorise l’auto
observation et doterait les individus de bonnes capacités à distinguer une émotion
d’une sensation corporelle, et à décrire la nature complexe des différents états
émotionnels.
Une fois cette introspection réalisée, il faut maintenant s’ouvrir à l’incertitude des autres ainsi que celles liées au système dans lequel on évolue.
Car la gestion de l’incertitude ne concerne pas que le dirigeant lui-même mais aussi sa relation aux autres.
La question se pose en effet de savoir comment comprendre, motiver voire convaincre des équipes, des clients ou des partenaires financiers de la pertinence de décisions alors même que l’on ne peut être certain du résultat escompté.
3. Les 4 Clés qui permettent de mieux gérer les incertitudes en Entreprise
Une certitude aujourd’hui généralisée est que nous vivons dans un monde volatile, incertain, complexe et ambigu dit : un monde VICA.
L’acronyme anglais VUCA de ces quatre dimensions (VICA en français) trouve son origine dans les académies militaires américaines. Il a ensuite été repris et adapté dans le monde des affaires (utilisé pour la première fois en 1987, s'inspirant des théories du leadership de Warren Bennis et Burt Nanus), en particulier dans le champ de la stratégie des entreprises.
Il parait incontournable pour un leader d'en comprendre les implications pour y agir en toute connaissance de cause et puisse développer les qualités personnelles nécessaires à un leader pour piloter son entreprise dans un tel environnement.
- Risk management => Oser prendre des risques
Aujourd’hui pour chaque dirigeant d’entreprise le « Risk Management » est une discipline, sinon incontournable, induite.
La gestion des risques permet à l’entreprise d’évaluer les opportunités et les risques afin d’atteindre les objectifs fixés, et ce, même si le quotidien ne répond pas à ses attentes.
Elle consiste à analyser et à évaluer en permanence les évènements, les actions et les développements qui empêcheraient l’entreprise d’atteindre ses objectifs et de mener à bien sa stratégie.
On distingue principalement la gestion des risques stratégique (Corporate Risk Management) de la gestion des risques opérationnelle.
Quand la première se charge d’analyser, d’évaluer et de gérer tous les risques de l’entreprise en procédant par l’analyse holistique de l’entreprise et en réalisant des scenarii catastrophes ce qui au final permet d’établir un profil de risque ;
La deuxième consiste à analyser le potentiel risque de l’entreprise lié à l’ensemble des procédures la gouvernant.
En résumé, la procédure de gestion des risques peut se voir comme un circuit de réglage grâce auquel les résultats de la gestion opérationnelle s’intègrent aux objectifs de la gestion stratégique.
De fait, cette évaluation permet de faciliter la prise de décision en étant conscient des risques encourus ce qui permet un amortissement d’un échec potentiel.
Cela nous amène maintenant à la notion d’échec et de prise en compte de ce dernier ; Oser prendre des risques c’est aussi avoir une capacité à accepter l’échec.
L'échec en soi n'est pas une catastrophe, mais le fait de ne pas en tirer les leçons l'est certainement.
Il ne suffit pas de former les dirigeants aux compétences de base du Risk Management sans identifier les facteurs clés qui permettent d'utiliser la résilience et l'adaptabilité qualités essentielles pour distinguer les dirigeants potentiels des gestionnaires médiocres.
L'anticipation du changement est l'un des résultats d'un leadership résilient.
- Développement de l’Agilité => Faire confiance à ses collaborateurs
À un certain niveau, la capacité de gestion de l’incertitude dépend des systèmes de valeurs, des hypothèses et des objectifs naturels de l'entreprise. Il s’agit de devenir une entreprise préparée et résolue.
Le partage de l’engagement dans un programme stratégique, la prise de conscience globale du chemin à parcourir et la vision claire de ce que l’entreprise veut créer dans le monde, à travers chacun de ses membres et qui soit plus grand qu’elle, permet souvent d’établir les bases d’une collaboration constructive.
Dans le même temps, le leader doit développer sa capacité et celle de son entreprise à s’adapter de manière permanente à un nouveau contexte qui peut parfois survenir de manière brutale.
Vous l’aurez compris si l’agilité individuelle du leader est indispensable il ne peut avancer seul.
Il doit donc mettre en œuvre le maximum de moyens qui permettront à son organisation de s’adapter rapidement et de manière pertinente en pouvant changer rapidement de systèmes de pensées, changer ses repères, ses réflexes, ses habitudes et de fait ses actions.
Le dirigeant agile pourra s’appuyer sur les équipes de premières lignes en contact direct avec l’environnement car elles sont souvent le mieux à même de détecter les premiers signaux annonciateurs de changement.
D’autre part, il pourra échanger avec elles sur la signification dynamique de ces signaux et les nourrir en retour de nouvelles interprétations stratégiques et opérationnelles. Ainsi les équipes pourront-elles aborder de nouveaux dispositifs organisationnels ou fonctionnels, non pas comme la dernière lubie d’un dirigeant versatile, mais comme une métabolisation stratégique des signaux qu’elles ont elles-mêmes contribué à détecter dans l’environnement.
- Porter et partager sa vision => Créer une sécurité interne
La vision et la finalité sont liées à la perception qu'ont les personnes du système plus vaste dont elles font partie.
Lorsque la vision stratégique d'une entreprise (ce qu’elle crée comme valeur, service, ce qui la différencie) s'adapte, répond de manière réactive à un changement du système dans lequel elle évolue, l’ambition (ce qu’elle apporte, rapporte aux parties prenantes de l’entreprise) doit également être modifiée et vice versa.
Afin de la porter, de la partager, les choix de communication du leader seront le reflet de l’importance qu’il y accorde et cette dernière sera relayée ensuite par les différentes parties prenantes.
L’une des compétences nécessaires ici au dirigeant est celle de pouvoir créer une stabilité interne à l’entreprise alors même que dans un monde volatile les changements peuvent être aussi soudains que répétés.
Lorsque les repères externes disparaissent, c’est en interne qu’il faut trouver et construire de nouveaux points de stabilité.
La mission et le système de valeurs de l’entreprise pourront constituer à la fois des points d’ancrage et un référentiel de critères pour les prises de décisions. Ce sera au dirigeant agile d’y puiser le sens tout en y trouvant de nouvelles traductions concrètes.
C’est cette stabilité interne qui procurera la solidité nécessaire à une véritable agilité externe et qui permettra au dirigeant et à ses équipes de s’adapter sans s’épuiser.
- Rester humble => Croire en son intuition tout en Inspirant confiance
L’incertitude est liée à la non prévisibilité des résultats de ses actions ou des évolutions de l’environnement. Cette deuxième dimension du VICA est elle aussi indépendante de la quantité d’informations dont le dirigeant peut disposer.
Lorsque le contexte est incertain, l’accessibilité à une abondance d’informations ne permet pas d’être sûr des évolutions à venir ou des effets attendus d’une prise de décision.
Pour certains, l’incertitude sera vécue comme un défi stimulant. Pour d’autres, l’incertitude sera source d’inquiétude, celle notamment qui naît de la focalisation sur des éléments externes qui ne dépendent pas de soi.
Pour le dirigeant, faire face à l’incertitude nécessitera à la fois beaucoup de force intérieure et beaucoup d’humilité, celle d’accepter de ne pas savoir, de ne pas être certain. Et pour éviter l’inhibition de l’action, le dirigeant devra aussi, paradoxalement être en mesure d’exprimer ses choix avec assurance.
Ainsi, le dirigeant dans l’incertain devra pour construire sa décision, faire confiance à ses collaborateurs mais aussi à son intuition pour être capable de partager avec des parties prenantes son analyse avec humilité, de promouvoir des actions avec confiance en soi et assurance, et d’appliquer des décisions en assumant pleinement les choix opérés.
Comme le schéma l’indique ci-dessus, avoir de l’intuition ou s’y fier n’exclut en aucun cas l’expérience, les compétences techniques et donc l’expertise, bien au contraire. La base c’est la connaissance, le savoir et l’expérimentation.
La complexité croît lorsqu’un système est ouvert et qu’il est connecté à d’autres systèmes, comme c’est le cas d’une entreprise dans une économie devenue globale. Le développement du « big data » – la numérisation et le traitement de volumes massifs de données pour en extraire les facteurs expliquant, est en train de changer la donne en matière de complexité.
Mais le dirigeant n’a pas encore accès au big data pour toutes ses décisions.
L’alternative au big data est bien sûr l’intuition. Nous considérons qu’il s’agit d’une compétence clé du dirigeant en environnement complexe. Ce que nous appelons ici intuition est la capacité à appréhender une dynamique systémique et à en percevoir les évolutions possibles en fonction d’une action imaginée.
C’est aussi de comprendre ce qui est discriminant parmi la multitude des facteurs, ce qui est essentiel ou stratégique, ou encore de pouvoir identifier la différence qui fait la différence, pour reprendre l’expression célèbre de Gregory Bateson. Cette capacité à comprendre la zone discriminante, c’est à dire les connexions de facteurs qui donneront le point de levier stratégique pour une action systémique, est à rapprocher de l’expression anglaise « educated guess », beaucoup plus souvent utilisée dans le monde américain des affaires que son équivalent français de « supposition éclairée ». Il s’agit de la part d’intuition qui se manifeste chez celui ou celle qui a déjà une très bonne culture et un haut niveau de compréhension d’une situation.
Cette intuition est en fait la manifestation consciente de liens inconscients entre de multiples éléments et facteurs connus ou supposés.
Le dirigeant se doit de développer la confiance en son intuition éclairée mais aussi en celle de ses collaborateurs experts.
Il pourra le faire en les soutenant et en acceptant de ne pas disposer de l’analyse scientifique complète.
Développer et entretenir l’intuition interne est semble-t-il une des compétences clés pour le dirigeant dans un monde complexe.
En Conclusion,
Être ou devenir un dirigeant éclairé sur la manière de gérer l’incertitude dans son entreprise nécessitera d’avoir la lucidité sur son propre rapport à l’incertain, de connaitre celui de ses interlocuteurs, d’analyser et de savoir prendre des risques, mais aussi de développer l’agilité dans son entreprise en faisant confiance à son intuition et aux différentes qualités des collaborateurs et partenaires qui l'entourent.
Sans oublier, d’avoir si nécessaire le courage de demander de l’aide afin de s’entourer des expertises qui pourraient lui manquer.
Le dirigeant aura de cette manière les moyens de construire une vision, une ambition et une sécurité interne suffisamment solide et agile pour qu'il les porte avec conviction et force.
Ainsi, il aura des atouts importants pour optimiser les effets de l’incertitude dans son entreprise.
ID Management, Isabelle DELPLACE le 26/08/2020
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